Le regard d'un monde vers l 'autre

28 August 2010

LES GRANDES CREATURES LACUSTRES DU BASSIN DU CONGO. L'ENIGME ANIMALE ET SES PROPOSITIONS. Florent Barrère.

L’histoire des animaux n’excite qu’une faible curiosité, et si quelques hommes en font l’objet de leurs études, ils ne parviennent guère qu’accidentellement à ajouter quelques observations à celles que leur léguèrent leurs devanciers ; les animaux nous fuit, et le plus souvent on ne s’en rend maitre qu’en leur ôtant la vie, c'est-à-dire en les privant de ce qui fait une des principales essences de leur nature.
(François Cuvier, De l’histoire naturelle des cétacés)



L’Afrique a de tout baigné pour les colonialistes occidentaux dans la plus grande perplexité zoologique, certaines de ses zones hostiles, déserts ou forêts vierges, y étant pour beaucoup, tant les espaces infinies rendent propices à l’épuisement du corps, aux errances de l’esprit. Par exemple, autour de la ligne équatoriale se développe et se dresse une forêt vierge,  dense et quasiment inhabitée : « Comme il est presque impossible de pénétrer sans bruit dans cette zone inextricable, d’une moiteur insalubre et plongée dans une pénombre éternelle, bien des êtres farouches peuvent la hanter sans que nous ayons jamais la moindre chance de les rencontrer, sinon à la suite d’un concours de circonstance exceptionnel. Seuls les indigènes qui vivent à l’orée de ces forêts, ou mieux encore dans ces forêts même, comme les pygmées, peuvent avoir vent de l’existence de certaines de ces bêtes ». Ainsi, dans cette région hostile – un enchevêtrement inextricable de grands arbres et de fleuves inexplorés, occupée dans sa majeure partie par le bassin du Congo (RDC, Cameroun, Gabon, République Centrafrique), un grand nombre d’espèces n’ont été connues que trop tardivement par les explorateurs blancs. Par contre, les indigènes les connaissaient depuis tout temps, s’en nourrissant à l’occasion, les incluant dans leurs mythes et leurs rituels de danse, ou les considérant parfois comme « mystique », c'est-à-dire mauvais. Mais les occidentaux se sont souvent moqués de ces témoignages indigènes décisifs, les trouvant peu probants par rapport aux assertions scientifiques, sans conteste de plus hautes tenues. Et pourtant… Le gorille des montagnes, ce géant pacifique, n’a été découvert par l’allemand Matschie qu’en 1901 alors que les indigènes le craignaient sous le nom de « Ngagi » et « Ngila » ; l’okapi, cette énigmatique et pacifique herbivore a été décrit en 1901 par le naturaliste Sir Harry Johnston, alors qu’il était parfois capturé par les pygmées Wambutti qui l’appelaient « Atti » ; et l’Hylochère, le plus grand porc sauvage du continent africain, découvert par le capitaine R. Meinertzhagen, était connu par les indigènes Massai sous le nom de « Elguia ». C’est dire le profit que l’on pourrait tirer des témoignages indigènes pour un inventaire faunistique des forêts tropicales africaines. Cette forêt qui ne semble d’ailleurs pas avoir livré ces derniers secrets : il y a de cela quelques mois, le 17 Aout 2007, pas moins de six nouvelles espèces ont été découvertes. Une mission menée par les scientifiques de « Wildlife Conservation Society » de New York, entre Janvier et Mars, dans une région boisée éloignée à l’Ouest du Lac Tanganyika, a permis la découverte de deux espèces de grenouilles, d’une de chauve-souris et de trois de rongeurs. L’immensité des découvertes qui restent à entreprendre sur ce continent est stupéfiante, tant les occidentaux peinent encore à en repousser les dernières limites paysagères.

Depuis trois ans, grâce à son association de recherche cryptozoologique « N’Goko », Michel Ballot persévère dans son enquête animale autour du bassin du Congo, en suivant l’axe fluvial Boumba/N’Goko, entre la RDC et le Cameroun. Sa recherche de terrain, sur le lieu-même de suspects animaux de grandes tailles, se porte essentiellement sur trois « cryptides » : le Mokélé Mbembé, l’Eméla N’Touka, le Morou Ngou. Michel Ballot, de par ses expéditions en terre africaine, a considérablement fait évoluer l’enquête de terrain zoologique, par une attention accrue portée à la fois aux témoignages indigènes, aux rapports de force entre les diverses espèces peuplant cette niche écologique et à un protocole de captation visuelle (appareil photographique dans une valise électronique) très prometteur.

De mon coté, j’ai très tôt été marqué par le dossier complexe et extravagant du serpent-de-mer, en portant une attention plus mûrie au frère de l’ombre du « Monstre du Loch Ness » : le « Cheval-marin », un animal serpentiforme connu depuis l’Antiquité. J’en suis venu, après des recherches personnelles et en fouillant un grand nombre de rapports, à l’impossibilité que cet animal soit un dinosaure relique – le principe de régulation thermique des hétérothermes, essentiellement, ne jouant pas en cette faveur. De cet intérêt et, pourrait-on dire, de cette connaissance empirique accumulée sur le serpent-de-mer et les autres monstres lacustres, je souhaitai frotter quelques-unes de mes intuitions zoologiques aux grandes créatures inconnues peuplant le bassin du Congo. Et dans cet ensemble cryptozoologique assez touffu, où se côtoient sans vergogne le rhinocéros d’eau, la panthère d’eau ou l’ours nandi, j’aimerai éclairer l’identité de seulement trois quadrupèdes inconnus : le Dingonek, le Chimpekwé et le Mokélé – Mbembé. Une disparité certaine affecte les noms vernaculaires attribués par les pygmées et les indigènes du bassin du Congo à ces trois créatures. Pourtant, un effort nous sera demandé pour ne jamais glisser dans la confusion et, à force de preuves testimoniales et visuelles circonstanciées, tenter de livrer une silhouette (ou, plus certainement, des silhouettes) précise, logique, anatomiquement viable à ces trois grands animaux. En commençant par une première question, toute simple : partagent-ils la même niche écologique ?

D’abord, le Lukwata, malgré la multiplicité des formes zoologiques qu’il pourrait embrasser, et sans contestation possible de mœurs aquatiques : « Cet animal, d’après les récits indigènes, pouvait être soit un petit cétacé, soit une grande espèce de lamantin, ou plus probablement un poisson gigantesque ». Des précisions supplémentaires viennent avec un témoignage indigène sur le Chipekwé, qui marque une spécialisation aquatique avec la certitude encore mal assurée que cette bête puisse être amphibie : « C’était un être amphibie, mais qui semblait ne jamais monter sur la rive puisqu’on y avait jamais décelé la trace de ses pas ». Pourtant, un incident survenu dans le Zambèze, et qui a été rapporté au roi des Barotsé Lewanika par ses sujets, semble en contradiction avec le rapport précédent. Les traces de pas sont cette fois-ci visibles, et le lien entre la terre et le fleuve clairement établi par une piste animale : « Lewanika [roi des Barotsé ] se rendit aussitôt à l’endroit indiqué et constata que sur une grande étendue les roseaux avaient été aplatis : un large sentier avait été frayé jusqu’au bord du marais et de l’eau ruisselait encore dans la boue troublée peu auparavant ». Ces trois rapports permettent de mieux cibler note sujet de recherche : un animal aux mœurs amphibies – c'est-à-dire ayant la capacité physiologique d’évoluer à la fois sur la terre et dans l’eau. Le troisième rapport du roi des Barotsé Lewanika n’est qu’en apparence contradictoire ; il révèle au contraire la nécessité de se pencher sur deux animaux amphibies inconnus au mode de vie totalement différent : l’un serait plus spécialement aquatique (Le Lukwata) ; l’autre serait plus spécialement terrestre (Le Chipekwé). Pourtant, ces quelques témoignages mis à jour nous permettent seulement de resserrer nos recherches sur un animal aux mœurs amphibies.

Afin de mieux cibler encore l’identité zoologique de ces monstres fluviaux, il devient nécessaire de régler le cas du Dingonek et du Chimpekwe, très différent du Mokélé-Mbembé. Ces deux animaux possèdent à la fois la cuirasse en damiers du tatou et le pelage à pois noirs du léopard. Ils semblent donc ornés le long de leurs peaux d’attributs propre aux reptiles et aux mammifères. Les témoignages sur ces deux bêtes à la fois reptile et mammifère semblent à chaque pas jouer de cette confusion zoologique. Nous sommes donc sur la piste d’amphibiens mi-reptile, mi-mammifère.

Citons d’abord deux témoignages se rapportant au Dingonek. Le premier informateur est Monsieur Jordan, qui a vu l’énigmatique animal sur le fleuve Gori, qui se jette sur la rive orientale du lac Victoria : « D’après Jordan, la bête mesurait 14 ou 15 pieds [4m20 à 4m50] de long. Elle avait la tête aussi grosse que celle d’une lionne, mais marquée comme celle d’un léopard. Deux longs crocs blancs s’élevaient tout droit de sa mâchoire supérieure. Elle était couverte d’écailles comme un tatou, avait le dos large comme celui d’un hippopotame et était entièrement tachetée comme un léopard. […] Les empreintes de ses pattes étaient aussi grandes que celle d’un hippopotame, mais révélaient des griffes pareilles à celle d’un reptile ». Ce témoignage marque un mélange indécidable entre le reptile et le mammifère. Les Massai aussi, plus en amont, connaissent la bête depuis longtemps : « Environ 15 pieds [4m50] de long, une tête comme celle d’un chien, des griffes, des pattes courtes et un cou bref ; elle a la réputation de lézarder sur le sable des rivages et de se laisser glisser dans l’eau dés qu’elle est dérangée : quand elle nage, seule sa tête est visible ».

Passons maintenant aux témoignages sur le « Chimpekwé », en commençant par celui émanant du livre du colon allemand Carl Hagenbeck : « D’après ce que j’ai entendu de la bête, il me semble que ce ne peut être qu’une sorte de dinosaure, sans doute apparenté au brontosaure ». Cette remarque est le premier indice faisant état d’une forme « dinosaure » relique dans ce dossier, mention bien arbitraire et malheureuse qui a plongé dans l’embarras un grand nombre d’étude sur les cryptide africains. L’impasse tragique consommée, il ne nous reste plus qu’à se réduire en mémoire la prudence des indigènes du lac Bangwéolo en Rhodésie du Nord : « Le Chimpekwé est un animal plus petit que l’hippopotame, mais qui le tue et le mange. Cette bête est à la fois mi-lézard, mi-éléphant ». Une nouvelle fois, par un rapport indigène très pragmatique sur une grande créature inconnue, vient la certitude que le Chimpekwé partage des caractères reptiliens et mammaliens. En ce sens, et par les quatre témoignages venant à notre appui, il ne fait plus aucun doute que le Dingonek et le Chimpekwé soit un seul et même animal, et même un amphibie carnivore mi-reptile, mi-mammifère. Ces deux cryptides sont donc des reptiles mammaliens.

Avant d’avancer plus avant sur l’identité zoologique du Dingonek et du Chimpekwé, revenons plus sereinement aux autres témoignages sur des animaux inconnus, en retenant plus particulièrement l’aspect de leurs peaux. Malgré quelques divergences qui mériteront d’être retenus, la plupart des témoignages s’accordent sur une peau épaisse, parfois rugueuse, parfois lisse, et oscillant souvent entre le gris et le brun. Cette peau est celle des « pachydermes » dans une acceptation grecque du terme, « pachis/derma » : peau épaisse. Voici comment est décrite la peau du Chipekwé : « On l’a décrit comme ayant un corps sombre et lisse, sans crins ». La peau du Mokélé M’Bembé est à peu près de la même consistance : « L’animal est d’une couleur gris brun et a la peau lisse, sa taille est à peu près celle d’un éléphant, celle au moins d’un hippopotame ». Peter Costello, dans son enquête classique sur les monstres lacustres, se fait l’écho d’un témoignage très judicieux sur une immense bête amphibie vivant dans un lac de Patagonie : « Les indiens locaux – les Auracaniens – ont toujours cru à l’existence d’un monstre dans ce lac. Ils lui ont donné le nom espagnol de « Cuero », qui signifie « Peau de vache », car l’animal a le même aspect, rond, sombre et rugueux. On l’appelle aussi El Bien Peinado, ce qui signifie « Le bien lisse », par analogie avec l’apparence d’un crâne chauve ». Si l’identité zoologique du monstre lacustre de Peter Costello n’est pas forcément la même que celle de nos monstres peuplant le bassin du Congo, il en ressort toutefois une réelle concordance dans les divers témoignages africains : tous ces animaux auraient la « peau épaisse », et seraient donc des « pachydermes ». La peau de ces monstres africains est d’ailleurs comparé la plupart du temps au rhinocéros, au lamantin et à l’hippopotame – tous des pachydermes, la peau variant du brun et lisse au gris et rugueux. Nous sommes donc sur la piste de pachydermes amphibies. Ce terme de « pachyderme », tombé en désuétude dans la systématique, avait pourtant un sens précis chez Linné : il regroupait les mammifères qui avaient la peau presque toujours épaisse et qui étaient « ongulés », c'est-à-dire qui avaient les doigts au nombre de deux, trois ou quatre. Notre prochaine question est donc on ne peut plus simple : nos pachydermes amphibies inconnus possèdent-ils deux, trois ou quatre doigts ?

Dans cette étude logique, qui devient de plus en plus serrée, deux voies s’offrent à nous pour nous guider dans cette recherche de la patte animale à deux, trois ou quatre doigts : se fier aux empreintes laissées dans le sol par ces animaux inconnus ; se fier aux témoignages ayant retenu la conformation du pied de ces animaux inconnus. Dans le premier cas, nous pouvons rapporter la seule photographie d’empreinte rendue publique et attribuée au Mokélé-Mbembé :





Fig. 1 : empreinte atrribuée au Mokélé Mbembé

Yvan Ridel, Congo-Brazzaville, 1966
Cette empreinte de pas laissée dans la boue montre trois doigts, dont un doigt central massif et griffu, plus enfoncé dans la boue que les deux autres. Ce doigt central porte tout le poids du corps lors de la marche animale. Toutefois, l’authenticité de cette photographie d’Yvan Ridel (cf. Fig. 1) n’est pas confirmée, et cette empreinte semble aussi concorder avec celle d’un hippopotame, comme l’a démontré avec bien des arguments Rémi Jalowézak en 1997. Toutefois, à une étude plus fine de cette photographie, on remarque nettement trois doigts, alors que l’hippopotame en a quatre sur ses pattes postérieures et antérieures. D’ailleurs la disposition des doigts de l’hippopotame n’est pas identique à celle de l’empreinte animale photographiée (fig. 1) : les doigts antérieurs sont plus écartés, et les deux doigts centraux forment nettement une fourche. Voici la photographie d’une empreinte d’hippopotame piégée par un pisteur africain, sur un sol boueux sensiblement identique à celui de la Fig. 1 :







Fig. 2 : empreinte atrribuée à un hippopotame

Les quatre doigts du pachyderme artiodactyle sont bien présents sur cette empreinte (cf. Fig. 2), et un resserrement très étroit est manifeste entre les deux doigts centraux, mais pas au point de se confondre avec un gros doigt central. Cette empreinte, avec ces quatre doigts bien visibles, est bien celle d’un artiodactyle, et manifestement celle de l’hippopotame. Mais ne soyons pas si sûr de notre étude comparative entre ces deux photographies (cf. Fig. 1 et 2), et admettons que la première trace soit celle d’un hippopotame - les accidents du terrain ayant effrité l’empreinte des deux doigts centraux au point de les confondre avec un unique doigt central. Alors une autre preuve de poids, qui sera à même de consolider cette simple photographie (cf. Fig. 1), doit être apportée. Le célèbre explorateur Trader Horn, dont les rapports sur la faune africaine ont toujours été très appréciés par les scientifiques, a recueilli patiemment les témoignages indigènes faisant mention du « grand plongeur » (Jago-Nini, Chipekwé ou Amali). Il en a même repéré une piste animale et s’est concentré sur une empreinte : « Cui-là, j’ai vu l’empreinte de son pied. A peu près de la taille d’une bonne poêle à frire pour ce qui est du pourtour, et avec trois griffes [je souligne à dessein], pas cinq ». Cette description testimoniale de 1935, couplé à l’analyse de la photographie d’Yvan Ridel de 1966 (cf. Fig. 1) nous laisse à penser que l’animal recherché possède trois doigts à au moins deux de ces pattes : soit les postérieurs, soit les antérieurs, soit les quatre. Au moins, le poids du corps, lors de la marche, est supporté par le doigt médian – voir à ce titre l’enfoncement du doigt central sur l’empreinte (cf. Fig. 1), ce qui semble faire de nos animaux inconnus des périssodactyles. Les monstres fluviaux hantant le bassin du Congo, sur les seules preuves testimoniale (Trader Horn) et visuelle (Yvan Rydel), sont donc des pachydermes périssodactyles amphibies.

Deux types de mammifères inconnus ont été ainsi exhumés par ce travail d’enquête reposant sur des preuves testimoniales et sur une preuve visuelle : le Dingonek et le Chimpekwé seraient des reptiles mammaliens ; le Mokélé-Mbembé serait un périssodactyle amphibie. La prochaine étape de notre travail d’enquête est de loin la plus difficile à tenir : trouver une concordance fossile sur le sol africain afin de valider les preuves de la survie de ces deux mammaliens. Le savant belge Bernard Heuvelmans nous sera d’une grande aide, par sa rigoureuse méthode comparative entre les témoignages indigènes et les restes fossiles. Pénétré de ses relations étroites avec le professeur J. L. B. Smith et son incroyable étude du cœlacanthe, Bernard Heuvelmans a été le premier à démocratiser l’idée d’une concordance entre les formes fossiles et les témoignages autochtones sur des bêtes inconnus des occidentaux. A ce titre, les thèses de « Sur la piste des bêtes ignorées » qui concernent la survivance du Moa en Nouvelle-Zélande et le rapprochement du Yéti avec un forme gigantopithèque relique font toujours autorité. La dernière question, qui marquera aussi la dernière opération de tamisage autour de l’identité réelle de ces animaux, n’est pas si aisée à embrasser : y a-t-il des fossiles retrouvés sur le sol africain à partir desquels les deux cryptides retenus auraient pu dériver ? Ce travail d’enquête s’avère plus ardu : nous n’avons encore exhumé des couches fossiles qu’une faible proportion des espèces ayant sans doute foulé notre terre : « Il est une objection qui constitue une difficulté évidente, c’est la distinction bien tranchée des formes spécifiques, et l’absence d’innombrables chainons de transition les reliant les uns aux autres ». De plus, une espèce actuelle a pu dériver génétiquement à partir d’un ancêtre fossile connu au point que la parenté n’est plus que difficilement déchiffrable. Ainsi, si nous n’avions pas retrouvé Pesosiren portelli, un mammifère amphibie herbivore qui est le chainon intermédiaire entre l’hippopotame, les siréniens et les cétacés, il aurait été difficile de regrouper ces trois familles fort différentes dans le même taxon phylogénétique. Je dois donc avertir mon lecteur, en toute honnêteté, que la partie qui suivra sera avant tout conjecturale. Au vu de l’immense travail paléontologique à accomplir sur les mammifères archaïques, il se peut que mon enquête zoologique se noue autour des mauvaises espèces fossiles. Toutefois, la recherche menée dans les pages précédentes s’est constituée sur des preuves valides, à partir desquels un esprit contradictoire pourra constituer une tout autre enquête – que je souhaite plus fertile - sur l’identité de ces deux cryptides.

Revenons sur le cas zoologique du Dingonek/Chimpekwé, que nous avions crû judicieux de placer parmi la lignée des reptiles mammaliens. La sous-classe des Thérapsidés semble la mieux placée dans cette lignée, car elle est exclusivement amphibie et succède aux pélycosauriens tout en annonçant les Carniformia (Prorastomus) et les premiers mammifères herbivores (Pesosiren portelli). C’est donc une sous-classe décisive, qui a su concurrencer pendant toute la période Trias-Jurassique les dinosaures, pourtant de super-prédateurs. Les Thérapsides étaient bien mieux adaptés que ces reptiles à sang froid aux perturbations climatiques qui allaient venir : ils commençaient à avoir des poils tout le long de leurs cuirasses, et un système de thermorégulation proche de celui adopté par les mammifères leur assurait un équilibre dans leur métabolisme. L’ordre des Cynodontes est celui qui a survécu le plus longtemps, passant la grave crise du Permien grâce à une homéothermie qui faisait défaut à beaucoup de dinosaures. De plus, les fossiles de Cynodontes les mieux conservés ont été découvert dans le Karoo (Afrique du Sud), en Inde et en Antarctique. Or le Karoo, pendant tout le Permien et le Trias, n’était qu’une immense forêt tropicale dont le bassin du Congo représente actuellement les derniers vestiges. L’étau identitaire du Dingonek/Chimpekwé se resserre alors autour de l’ordre des Cynodontes, des reptiles mammaliens herbivores évoluant dans un environnement forestier et tropical. A-t-on les moyens d’être encore plus précis dans notre recherche ?



En revenant à la matière brute des témoignages, nous nous rappelons que le Dingonek du fleuve Gori avait « deux longs crocs blancs qui s’élevaient tout droit de la mâchoire supérieure ». L’animal avait, selon les Massai, une « tête comme celle du chien ». Or un sous-ordre de l’ordre des Cynodontes s’appelait précisément les « Dycinodontes », c'est-à-dire les animaux à « deux dents de chien ». Ce sous-ordre a été l’une des plus robustes parmi la sous-classe des Thérapsides, donnant ainsi par la suite les Caniformia, d’où descendent les morses, les ours, les otaries, les phoques, etc. Voici le portrait fidèle dans son anatomie de Lystrosaurus, un représentant des Dycinodontes, qui avait l’élégance de porter deux canines proéminentes :





Fig. 3 : Lystrosaurus, sous-ordre Dicynodontia.

Désert de Karoo (Permien supérieur – Trias supérieur)

La famille des Lystrosauridés étaient des herbivores amphibiens qui broutaient des herbes marines dans l’actuel désert de Karoo, anciennement une forêt tropicale. Certains étaient aussi gros qu’un rhinocéros, et ils se comportaient un peu comme des « hippopotames reptiliens ». Devant un portrait-robot et des mœurs aussi précis et concordants, il ne nous reste plus qu’à affiner notre étude comparative entre le Lystrosaurus et le Dingonek/Chimpekwé. Le Lystrosaurus est amphibien, comme le Dingonek/Chimpekwé. Il n’est pas plus gros qu’un rhinocéros, et le Dingonek/Chimpekwé mesure quatre mètres cinquante ou est aussi gros qu’un hippopotame. Il possède deux canines proéminentes, et le Dingonek/Chimpekwé deux longs crocs blancs qui s’élèvent tout droit de la mâchoire supérieure. Il a la peau tachetée, à la fois couverte de poils et d’une peau reptilienne, alors que le Dingonek/Chimpekwé est couvert d’écailles comme un tatou, a le dos large comme celui d’un hippopotame et est entièrement tachetée comme un léopard. Il est artiodactyle et porte des griffes, là où le Dingonek/Chimpekwé laisse des empreintes aussi grandes que celle d’un hippopotame, mais révélant des griffes pareilles à celle d’un reptile. On le voit précisément par cette concordance physionomique, le Dingonek/Chimpekwé semble bien un Lystrosaurus relique, ou tout du moins un survivant actuel de la sous-classe des Thérapsidé. Le très énigmatique Eméla N’Touka, ayant derrière lui un dossier richement circonstancié – des centaines de témoignages et deux statuettes à son effigie, pourrait aussi avoir dérivé de cette sous-classe des Thérapisdés ; en tout cas, les indigènes le considèrent comme un rhinocéros-éléphant court sur pattes, preuve de sa possible appartenance à la lignée des reptiles mammaliens.

Pourra-t-on aller aussi loin que l’exemple du Dingonek/Chimpekwé dans notre recherche sur l’identité zoologique du Mokélé-Mbembé ? Pour en être sûr, débattons d’une question que nous avons resserré dans notre enquête : est-ce que le Mokélé-Mbembé pourrait être un pachyderme périssodactyle amphibie connu sur le sol africain ? Comme la question semble même trop astreignante en gardant à l’esprit la nécessité des mœurs amphibies, posons la plus simplement : est-ce que le Mokélé Mbembé pourrait être un pachyderme périssodactyle africain connu, c'est-à-dire assimilé à la faune indigène et admis scientifiquement ? Les périssodactyles ne comptent que trois familles : les équidés, les tapiridés et les rhinocérotidés. D’emblée, la famille des équidés, ne comptant qu’un doigt (aussi appelé sabot), peut être écartée. Les tapiridés forment une famille plus intéressante : ils ont effectivement trois doigts aux pattes postérieures et quatre doigts aux pattes antérieures. Leur peau peut être lisse et brune. Ils vivent dans les forêts pluviales, adoptent un régime végétarien et ne sortent qu’à la tombée de la nuit. Par contre, ils ne sont pas amphibies et n’ont pas été découvert sur le sol africain : ils ne vivent qu’en Amérique du Sud, en Amérique centrale et en Asie. Nos animaux inconnus ne peuvent pas être, vraisemblablement, des tapiridés. Seraient-ils des représentants de la dernière famille des périssodactyles, les rhinocérotidés ? Rien ne s’opposerait non plus à cette idée : les rhinocéros ont trois doigts aux pieds, ce sont des mammifères pachydermes à la peau grise et rugueuse, et ils sont présents dans le bassin du Congo. Les arguments penchant en la faveur d’un rhinocéros connu ou d’une variation locale inconnue sont alors de poids. Toutefois, nous n’en connaissons pas encore qui aient adopté des mœurs amphibies. Mais – remarque ô combien importante, il a existé dans les temps préhistoriques toute une lignée très richement circonstanciée par les couches fossiles de rhinocéros amphibies. Le très gênant Emela N’Touka, le « tueur d’éléphants » des pygmées, pourrait correspondre à une forme relique de Rhinocéros amphibie – plus précisément le Bronthothérium, mais je manque actuellement d’éléments d’informations pour défendre une telle thèse. Et si les descriptions physiques du Mokélé Mbembé ne semblent pas correspondre à un Rhinocéros amphibie, il en a pourtant les empreintes : « A peu près de la taille d’une bonne poêle à frire pour ce qui est du pourtour, et avec trois griffes, pas cinq ». Ce témoignage est d’ailleurs corroboré par la forme de l’empreinte photographié par Yvan Ridel (cf. Fig. 1), preuve que le Mokélé - Mbembé peut très bien appartenir à la lignée des Rhinocérotidés. Mais alors, de quel Rhinocérotidé serait-il la spécialisation aquatique ?

Comme pour l’exemple déjà mené et conclu du Dingonek/Chimpekwé, tentons d’abord de trouver quelles formes fossiles la famille des Rhinocérotidés ont pu être ensevelies sous la terre africaine. Les seules formes fossiles de Rhinocérotidés à avoir été trouvé en Afrique de l’Est sont les Calichothères. Le genre Calichothérium a connu une véritable explosion lors de la période de radiation des mammifères, pendant l’Eocène, et les espèces ont été nombreuses à se développer et à se spécialiser aux nouveaux milieux alors à leurs portées : savanes, montagnes, forêts tropicales. Tous ces mammifères étaient de paisibles herbivores qui ont vécu jusqu’à l’apparition des premiers hommes en Afrique de l’Est. Dans ce genre Calichothérium, le Telocephalonyx skinerri semble le plus intéressant, car il s’est resserré sur un mode de vie amphibie adapté aux forêts chaudes et humides alors très abondantes en Afrique :





Fig. 4 : Tycephalonyx skinerri, famille Rhinocérotidés.

Afrique de l’Est (Début de l’Eocène)
Ce dessin réalisé fidèlement à partir d’un squelette entier de Tylocephalonyx skinerri (cf. Fig. 4) possède certains traits de la physionomie du Mokélé – Mbembé : un long cou, une taille de deux mètres au garrot, des pattes à trois griffes robustes et un régime exclusivement herbivore. Néanmoins, on semble loin du compte, les témoignages indigènes insistant obstinément sur la ressemblance du Mokélé Mbembé avec un dinosaure du type Atlantosaure. Et pourtant, l’étrange bosse ovale qui orne le crâne du Tylocephalonyx skinerri pourrait s’éclairer d’un témoignage indigène émanant du Chipekwé : « On le décrit comme ayant un corps sombre et lisse, sans crins, et orné d’une seule corne blanche et unie, disposée comme la corne d’un rhinocéros mais fait d’un ivoire blanc et lisse, très fortement poli [je souligne à dessein] ». Ce témoignage, qui ne peut qu’avoir valeur d’exemple car il n’est pas consolidé par d’autres récits, a au moins le privilège de faire coïncider un point d’accroche de l’anatomie du Mokélé – Mbembé avec l’organe sensoriel d’un animal fossile de la même famille Rhinocérotidé que lui, le Tylocephalonyx skinerri (cf. Fig. 4).
L’analyse des points de comparaison entre le Mokélé Mbembé et le Tylocephalonyx skinerri semblent s’être épuisée, mais cela n’a pas pour autant été une méthode vaine : la corne polie du Mokélé Mbembé éclaire d’un jour nouveau le melon sensoriel du Tylocephalonyx skinerri. Et si, comme cela arrive fréquemment, le dessinateur du Tylocephalonyx skinerri a placé arbitrairement sur le dos du fossile un pelage brun, alors l’écart avec le Mokélé – Mbembé s’amenuise encore. La peau de cet ancêtre des Rhinocérotidés pouvaient très bien être grise et lisse – comme celle du Mokélé – Mbembé, et sa corne dénué de poils bruns et blanche comme l’ivoire – comme celle du Mokélé – Mbembé. Sous ce nouvel angle, l’écart physionomique entre le Mokélé Mbembé et le Tylocephalonyx skinerri se resserre considérablement. En fait, il ne reste plus que deux points d’achoppement entre les deux espèces animales : la queue et le cou.

Le Mokélé – Mbembé a effectivement la queue bien plus longue et massive que le Tylocephalonyx skinerri, qui a déjà acquis celle d’un ongulé commun (cheval, hippopotame, rhinocéros). De plus, le Mokélé – M’Bembé aurait la queue ornée de piques ! Une longue et puissante queue s’expliquerait par la spécialisation aquatique de ce mammifère qui était auparavant semi-aquatique. En effet, nous n’avons aucun chainon intermédiaire fossile d’une possible adaptation à la vie aquatique chez les Rhinocérotidés, alors que l’adaptation à une vie terrestre est exemplairement démontrée par les rhinocéros actuels. Ainsi, l’allongement et l’épaississement progressif de la queue serait la conséquence chez le Mokélé Mbembé d’une adaptation progressive à un milieu fluvial, tout comme la loutre a pu se forger un corps fuselé à partir d’un ancêtre commun plus proche du glouton (Gulo gulo). La rangée de cornes qui ornerait la queue serait alors la spécialisation défensive de ce gros mammifère herbivore qui ne tolérerait pas qu’un autre prédateur le supplante sur son territoire : crocodiles, éléphants, rhinocéros, ou encore l’énigmatique léopard d’eau. Le long cou n’est plus très difficile à admettre dans cette optique d’une radicalisation vers la vie aquatique : comme les lamantins d’eau douce avec leurs énormes palmes, un long cou accompagné d’une longue queue seraient les organes idéaux de cette locomotion subaquatique – propulsion, vitesse, navigation ; tout devient plus aisé dans l’eau avec un corps fuselé et serpentiforme, tout en horizontalité. Voici le portrait zoologique que je pourrai vous proposer du Mokélé MBembé, avec l’aimable concours du dessinateur Philippe Coudray, qui s’est inspiré de mes directives et d’un patron animal fossile en la figure du Tylocephalonyx skinerri :







Fig. 5 : Portrait robot du Mokélé-Mbembé

Dessin de Philippe Coudray, 2009

Quelques objections peuvent être soulevées à la vue de ce portrait-robot, qui s’originent précisément dans cet ancrage au modèle anatomique du Tycephalonyx skinerri, au détriment sans doute de certains caractères physionomique soulevés par les témoignages indigènes.

Tout d’abord, peu de mammifères ont une queue longue et épaisse. Chez les mammifères amphibies africains, seul deux exemples viennent à l’esprit : le lamantin d’Afrique, avec sa grosse queue grise en forme de palme ; et puis la loutre, avec son cou étiré et sa puissante queue brune. Un plan d’organisation des mammifères amphibies avec une longue queue n’est donc pas courant.

Aussi, le cou serait beaucoup plus long et torturé, un peu comme celui du cygne. Les pygmées Baka, lors de leurs rencontres avec le Mokélé – Mbembé, parlent d’une trompe pour évoquer le cou ; une trompe qui va récolter les fruits sur les arbres longeant les berges. Il est vrai que le plan d’organisation des mammifères amphibies, contrairement à celui des reptiliens fossiles, n’est pas favorable à un long cou. La famille des Calichothères que j’ai élu dans cette étude étant la seule qui fait exception à la règle, leurs cous puissants prenant la forme d’un arc de cercle inversé. Mais le cou qui ressort de tous les témoignages pygmées est long, beaucoup plus long.

Le troisième et dernier problème anatomique chez le Mokélé – Mbembé est celui faisant état d’une « rangée de défenses allant de la tête au cou », information relayée dans la moitié des témoignages. L’autre moitié des témoignages ne mentionne que la grande corne sur le cou, et font fi de cette rangée incroyable de défenses. On aurait alors des individus mâles ornés d’une corne et d’une rangée de défenses et des individus femelles seulement ornés d’une corne. Bien que la rangée de défenses parait excessive pour un mammifère, et cadrerait davantage avec un reptilien relique, le fort dimorphisme sexuel est tout à fait compatible avec cette lignée : les narvals mâles sont les seuls à porter une énorme défense sur leur tête ; et les babiroussas mâles sont équipés de quatre défenses, dont qui sont simplement ornementales. La différenciation sexuelle est donc explicable scientifiquement, la seule hypothèse un peu branlante venant de cette rangée de cornes qui serait une spécialisation défensive. Pour l’instant, je n’ai pas d’arguments à opposer à ces trois objections majeures, qui reposent sur des bases fondées : la logique du plan d’organisation et la concordance des témoignages indigènes.

Néanmoins, d’autres aspects curieux du Mokélé – Mbembé semblent moins difficiles à résoudre, que ce dernier soit d’ailleurs un mammifère ou un reptile. Tout d’abord, le Mokélé – Mbembé semblent haineux envers les autres grands prédateurs du Bassin du Congo. Les exemples ne manquent pas, l’explorateur Trader Horn étant le premier à en faire part : « Y a quelques très grands lacs au-delà des monts Cameroun. Z’étaient plein de phoques magnifiques dans le temps [sans nul doute des lamantins]. Manga, qu’on les appelle. Mais le Jago-Nini les a presque exterminés, et les crocodiles qui ne tuent jamais les hommes ». Lorsqu’il ne s’agit que de deux prédateurs amphibies (le lamantin et le crocodile), la concurrence peut paraître loyale, mais Trader Horn fait aussi mention d’un Mokélé – Mbembé qui attaquerait des Eléphants : « Je vous le demande un peu : qui sinon une grosse bête comme l’Amali pourrait être tenue pour responsable des défenses brisées sur lesquels i’ nous arrivaient de tomber dans les prétendues cimetières des éléphants ? ». Ce trait de caractère, qui n’est pas le plus repris du dossier – même si certains pachydermes inconnus sont nommés « tueur d’éléphants » par les pygmées Bakas, peut s’expliquer assez simplement par le prélèvement d’un met fort apprécié du Mokélé – Mbembé : la moelle de la corne de l’Eléphant, encore présente quand l’ivoire est vert. Tous les mammifères sont extrêmement friands de moelle dés qu’ils y ont gouté, et s’exposeraient au plus grand danger pour pouvoir à nouveau se satisfaire de cette préciosité. Le dernier et le plus courant des ennemis du Mokélé - Mbembé est l’hippopotame : « Pour moi, il s’agit d’un serpent, le plus gros des serpents qui est agressif, qui n’accepte pas un autre animal dans sa zone et s’il voit des pirogues, il cherche à les soulever. Il mange de tout. Dans les bras de la rivière, il y a des hippopotames à quelques kilomètres du Mokélé - Mbembé, mais ils se montrent pas vers l’amont, là où il y a le Mokélé – Mbembé ». Cette animosité est en revanche facilement explicable, les hippopotames étant des mammifères amphibies partageant la même niche écologique que le Mokélé Mbembé et se sustentant vraisemblablement des mêmes proies : des petits poissons, des algues aquatiques. Ainsi, le dernier trait curieux du Mokélé Mbembé se révèle tout à fait conforme à son régime herbivore : « C’est un animal qui sort souvent en amont de la rivière Boumba, il sort souvent avec beaucoup d’herbes sur le dos et ici on entend parler du Mokélé Mbembé ». Les herbes restant accrochées à son dos sont à la fois la marque de sa navigation dans des bras de fleuve encombrés de végétations en suspension et la marque de sa recherche par fouissement des algues aquatiques enracinées dans les fonds boueux, qui font sûrement son pain quotidien avec quelques poissons et une autre plante qui longe les berges, le « Wa Fou ». Ces quelques points de concordance du Mokélé – Mbembé avec un gros mammifère herbivore méritaient d’être soulevés, même si la véritable surprise de ce dossier est venu pour moi d’une décoration babylonienne représentant un animal inconnu :





Fig. 6 : Le Sirrouch,

Ornementation du portique d’Ishtar

Cet animal inconnu représenté sur la porte d’Ishtar (cf. Fig. 6) accuse bien des points de comparaison avec notre portrait robot esquissé par Philippe Coudray (cf. Fig. 5), malgré une silhouette plus élancée. Deux caractères physionomiques, surtout, sont très précisément identiques à notre portrait-robot. La courbure du long cou, en arc de cercle inversé, est typique de la famille des Calichothères, contrairement à la courbure du cou des équidés ou des dinosaures, très nettement en arc de cercle droit. Aussi, les pattes postérieures du sirrouch d’Ishtar sont identiques à notre portrait-robot du Mokélé - Mbembé. Essayons tout de même de les décrire : bien plus que des pattes de félins, comme j’ai pu le lire dans une étude peu troublée de précisions zoologiques, ces pattes postérieures sont celles d’un périssodactyle. Mais dans cette représentation de profil, uniquement deux doigts apparaissent. Seulement, la robustesse du second doigt prouve que c’est bien le doigt médian – se rappeler à ce titre de l’étude de la Fig. 1, et donc par la logique du plan d’organisation cette patte comprend bien trois doigts. C’est bien la patte d’un périssodactyle, et cet animal inconnu peut très bien faire partie de la famille des Rhinocérotidés.

Mais la première question qui mérite d’être soulevée n’a pas encore été résolue : est-ce que cet animal, à l’époque babylonienne, était considéré comme réel ? L’érudit William Ley s’est penché sur ce curieux animal ornant la porte d’Ishtar, et a fait remarquer que les rimi qui sont placés tout le long du portique symétriquement aux sirrouchs sont en fait des « aurochs », ces magnifiques bœufs qui se perpétuèrent en Europe jusqu’au Moyen-âge, et dont le dernier survivant mourût près de Jaktorovtka, en Lituanie, en l’an 1627. Laissons le soin à Bernard Heuvelmans d’achever de nous convaincre de la réalité des sirrouchs, par des arguments bien pragmatiques : « A priori pourtant, il semble que les architectes du portique aient eu souci de représenter un animal bien réel et non quelque créature mythique née de leur imagination. Pourquoi, sinon, auraient-ils fait alterner l’effigie de ce sirrouch abracadabrant avec celle d’un bœuf, représenté de manière très prosaïque ? Et pourquoi auraient-ils encadré l’allée qui mène au portique, d’une double rangée de lions menaçant non moins réalistes ? Ce sont sans doute là des êtres remarquables par leur puissance et leur férocité, mais qui n’ont rien de fantastique ». Et si la réelle identité zoologique du sirrouch est encore faible au seul éclairage de l’ornementation babylonienne, l’animal inconnu représenté il y a de cela vingt cinq siècles sur ce portique babylonien est bien un mammifère périssodactyle – il en porte au moins la patte postérieure.

Après avoir démêlé deux cas zoologique tortueux, celui du Dingonek/Chimpekwé et celui du Mokélé Mbembé, j’ai encore du mal à me décoller d’un dossier trop souvent diffus, tant la contradiction de certains témoignages et les insuffisances géologiques me font craindre de m’être fourvoyé sur une mauvaise piste animale. Ainsi, le cheminement développé le long de ces pages se goûterait à la fois comme enquête animale et texte polémique. Je serai donc ravi que ce laborieux écrit puisse déclencher des discussions sur la nature réelle de ces animaux, qui me permettront d’infirmer ou de valider certaines hypothèses ici proposées. Héraclite d’Ephèse, le grand sage présocratique, avait l’habitude de considérer « Polémos », la guerre, comme le père de toutes choses : c’est par la seule vertu des conflits et des oppositions que la vérité sur un dossier aussi dense pourra jaillir. Et si un homme avisé par l’enquête animale décide un jour de relever le gant, qu’il se rappelle toutefois que mon argumentation repose essentiellement sur une concordance fossile consolidée par deux périodes de radiation : celle du Trias/Permien pour les mammifère mammaliens – et le cas du Dingonek/Chimpékwé ; celle de l’Eocène pour les Rhinocérotidés archaïques – et donc le cas du Mokélé – Mbembé. Les périodes de radiation, assez rares dans les temps géologiques, sont pourtant essentielles à la survie des espèces actuelles : tous les mammifères (placentaires, marsupiaux, monotrèmes) descendent des reptiles mammaliens ; et les rhinocéros, tapirs, tatous et paresseux descendent d’une lignée archaïque de périssodactyles. Par la densité animale importante et l’explosion des espèces favorisés dans cette période de radiation, certaines lignées ont gagné en plasticité, comme le prouve la survivance actuelle du Dingonek, du Chimpekwé, du Mokélé – Mbembé et très vraisemblablement de l’Eméla N’Touka. Charles Darwin a d’ailleurs supposé, après étude très consciencieuse des couches géologiques, que les chainons intermédiaires étaient plus rares chez les espèces ayant subi une radiation : « Il est une objection qui constitue une difficulté évidente, c’est la distinction bien tranchée des formes spécifiques, en l’absence d’innombrables chainons de transition les reliant les unes aux autres. […]. Je me suis efforcé de démontrer que l’existence de chaque espèce dépend beaucoup plus de la présence d’autres formes organisées déjà définies que du climat, et que, par conséquent, les conditions d’existence véritablement efficaces ne sont pas susceptibles de gradations insensibles comme le sont celles de la chaleur et de l’humidité. J’ai cherché aussi à démontrer que les variétés intermédiaires, étant moins nombreuses que les formes qu’elles relient, sont généralement vaincues et exterminées pendant le cours des modifications et des améliorations ultérieures ».


Ce texte est la propriété de Florent Barrère. Merci de bien vouloir le consulter pour sa reproduction.
Bibliographie
- Bronson G. B., « In closed territory ».

- Costello Peter, « A la recherche des monstres lacustres », Librairie Plon, 1977 pour la traduction française.

- Darwin Charles, « De l’origine des espèces », Edition Flammarion, 1992 pour la présente édition.

- Hagenbeck Carl, « Von Tieren und Meschen », 1909.
- Heuvelmans Bernard, « Sur la piste des bêtes ignorées », Editions Plon, 1955. Tome I et II.
- Le Noël Christian, « Hominologie et cryptozoologie », n° 35, 1° trimestre 2008.
- Lewis Ethelreda, « Trader Horn, the Ivory Coast in the Earliest », 1936.
- Ley William, « The lungfish, the dodo and the unicorn », in. chapitre “The dragon of the Ishtar gate”. Viking pass, New York, 1948.
- Raynal Michel, « Le rhinocéros des forêts », 31 décembre 1999, mise à jour en juillet 2009 site internet de l’Institut virtuel de cryptozoologie.


A la suite de cette brillante démonstration et de ce travail remarquable de fond je faisais remarquer à Florent Barrère qu’en novembre 1999, l’équipe américaine qui dirigeait des recherches archéologiques au Niger découvra une espèce sa uropode appelée Jobaria.


Longueur : 17 mètres. J’ai récolté un témoignage, celui d’André Ghislin faisant état d’une longueur de 15 mètres.


Cou flexible; c’est aussi le cas chez le Mokele - Mbembe


Dents en forme de spatule pour pincer les petites branches des arbres, prendre les fruits; c’est le cas chez le Mokele - Mbembe.


Proportions du corps analogues à celles de l’éléphant; c’est toujours le cas chez le Mokele - Mbembe.


Le Jobaria se dressait sur ses pattes de derrière pour aller chercher sa nourriture où pour sortir de l’eau: des témoignages Baka font état que le Mokele - Mbembe se dresse sur ses pattes de derrière.


Le Jobaria possédait des épines dorsales en particulier sur le cou; cela semble aussi le cas chez le Mokele - Mbembe.


Je crois pour ma part que ces animaux vivent à la façon de hippopotames. Il marchent le long des berges déployant leurs cous pour aller chercher la nourriture sur les arbres. Il semblerait que leurs seuls ennemis naturel soient les crocodiles qu’ils ne craignent pas. Une théorie fait état de l’existence de sacs d’air un peu comme ceux de certaines espèces d’oiseaux spécialisés dans la plongée ce qui expliquerait que ces animaux pourraient rester sous l’eau pendant longtemps. Les yeux et les narines seraient placés sous des protubérances au dessus du crâne ce qui permettrait à l’animal de respirer et d’examiner les alentours sans se faire voir.

A ces suppléments d’information Florent Barrère me répondait en précisant que la concordance physique est évidente avec les témoins indigènes, que le pied est identique par la trace à celle d’un mammifère périssodactyle ( + les 3 griffes déconcertantes ), que le régime herbivore et le milieu de vie sont apparement identiques et que le cou, évidemment, apparaît souple dans la plupart des témoignages.


Florent ajoutait à cela deux objections :



- dans le dossier recueilli par Heuvelmans, certains témoignages insistent sur la présence d’une corne blanche et unique sur le front. Le Thicephalonyx Skinner en possède une. Par contre, la concordance avec le Jobaria expliquerait plus facilement l’étrange rangée d’épines dorsales.

 
- les dinosaures ont - ils été assez souples dans leur évolution pour abaisser leur métabolisme au point de réguler leur température interne ?Si la concordance avec Jobaria se confirme, on aura alors une nouvelle preuve après la lignée des reptiles mammliens d’une adaptation évolutive d’un sa uropode vers la régulation corporelle des mammifères. Ainsi ce là ne m’étonnerait guère si le Mokele - Mbembe, s’il se trouve être un Jobaria ait pu associer des compétences mammifères à son patrimoine héréditaire : mettre à bas ( placentaire ), sang chaud, présence de poils. En tout cas, les cryptides du bassin du Congo semblent véritablement se défier en permanence de leur appartenance à une seule lignée ( mammifère, reptilien).

Michel Ballot
NGOKO

1 comment:

Anonymous said...

je n ai fait que survoler votre récit, mais je vous remercie pour les éclaircissements qu il ma apporté

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